C’est un club de plus en plus fermé auquel il est toujours affilié. Cinq hommes qui ont résisté à l’écrémage naturel et à l’usure du temps. Cédric Charlier, John-John Dohmen, Félix Denayer, Jérôme Truyens et lui, Thomas Briels. Les survivants de la première heure du renouveau olympique du hockey belge. Ils étaient déjà à Pékin, en 2008. Puis à Londres, 4 ans plus tard. Ils seront encore, sauf accident, à Rio dans moins de 3 mois. Une première performance.
« C’est quelque chose dont je suis très fier, dit-il, l’œil pétillant, en regardant dans le rétroviseur de sa carrière chez les Red Lions. C’est aussi une belle récompense pour tous les sacrifices de ces dix dernières années, ces levers aux aurores pour filer à l’entraînement, ce boulot impitoyable en salle de fitness, ces vacances invariablement manquées pour cause de stages, ces études qu’il a fallu étaler et qui ont duré trois fois plus longtemps que la normale. Aujourd’hui, c’est comme si je recevais tout en retour ! »
Chemise en jean savamment froissée, cheveux de jais lissés vers l’arrière, il esquisse un sourire apaisé, trop heureux de cette résistance au temps malgré son gabarit minimaliste. Avec son 1,73 m sous la toise et ses 71 kg tout mouillé, Thomas Briels aurait pu baisser les bras et se contenter d’une carrière simplement confortable. Au lieu de cela, il s’est élevé au-dessus de la moyenne pour faire profiter les autres de son agilité technique, de son sens du démarquage et de sa rapidité d’exécution. « En tant qu’attaquant, je ne suis peut-être pas le tout grand buteur, admet-il. Mais j’essaie d’apporter une certaine énergie dans le jeu. D’autant qu’à 28 ans, je me sens super en forme. »
Une énergie vouée depuis toujours au hockey, comme chez sa grand-mère maternelle, la première de cordée « qui a joué en équipe A à l’Antwerp » , son père et sa mère, ses oncles et ses frère et sœur triplés, Jim et Caroline, « même si celle-ci a dû arrêter en raison de ses études de vétérinaire » . « Je n’aurais pas pu faire un sport individuel. Je suis un joueur d’équipe, j’aime trop être entouré de gens ! »
Thomas Briels se revoit, gamin, filer à l’entraînement à vélo, d’Ekeren, son chez-lui, à Brasschaat, siège du Dragons, son club originel qu’il vient de retrouver. Evoque une jeunesse heureuse et insouciante mais bousculée, à 6 ans, par le divorce compliqué de ses parents, qui a débouché sur une rupture de ses relations avec son géniteur – « Je n’éprouve pas le besoin de le voir », ajoute-t-il en noircissant son regard. Raconte l’ado légèrement nonchalant et peu discipliné qu’il était, aujourd’hui transformé en « modèle d’organisation et de rigueur » . « Les gens qui me connaissaient à l’époque ne me reconnaissent plus ! », se marre-t-il.
Une transformation qu’il a, selon lui, maturée durant sept ans de professionnalisme passés à Eindhoven, de 2008 à 2015, au sein du club Oranje-Zwart, avec lequel, en guise d’apothéose, il a conquis un titre national et une victoire en EHL, la « Ligue des champions du hockey ». « Quand la proposition de transfert est arrivée, j’ai dû me décider très vite, se souvient-il. En 48 heures pendant lesquelles je n’ai pas dormi ! J’avais du mal à croire qu’un club pareil, dont je suivais tous les matchs à la télé hollandaise quand j’étais plus jeune, pouvait s’intéresser à moi. Je me suis dit : Si tu ne le fais pas, tu vas le regretter. »
Là-bas, Thomas Briels est devenu un autre joueur. Et un autre homme. A côté du hockey, il s’est « hollandisé » juste ce qu’il faut. « J’ai appris à m’affirmer, mais sans verser dans l’arrogance. Eindhoven, ce n’est pas Amsterdam… » Une musculation caractérielle qui lui a permis de se faire des amis pour la vie dans la cité du géant de l’électronique Philips et de rencontrer sa compagne néerlandaise, Jolien, étudiante en psychologie… à Louvain, dont l’un des exploits est de l’avoir forcé à conserver son accent anversois « sans quoi, elle me quittait ! ». Aux Pays-Bas, il a aussi survécu à une alimentation, disons, simpliste. « Entre ce qu’on mange à la Mansion du Dragons et à la cantine d’OZ, il n’y a pas photo ! » Et il a bouclé son cursus de futur podologue après un essai manqué en marketing. « L’objectif, c’est d’avoir un jour mon cabinet à Anvers. »
C’est dans cette métropole que « Thomacho », surnom que lui a donné l’un de ses équipiers en équipe d’âge – « Macho, avant, je l’étais, maintenant plus ! » – est revenu l’été dernier à l’appel du Dragons. Une décision tout aussi difficile que celle prise au moment de son départ, mais qu’il estimait inexorable. « J’avais tout gagné à Oranje-Zwart, je pouvais partir par la grande porte. Et puis, j’avais dit au Dragons que je reviendrais un jour et je préférais le faire tant que j’estimais pouvoir lui apporter quelque chose plutôt que passé 30 ans. Je n’ai pas regretté mon choix. »
Derrière celui-ci, il y avait aussi cette volonté d’être à quelques coups de stick du centre d’entraînement des Red Lions, au Beerschot, à l’heure de l’intensification des concentrations en vue de l’aventure olympique. Une aventure qui aurait pu être tout autre si la balle n’avait pas roulé pour eux, il y a 9 ans d’ici. « Je me souviens de mon premier grand tournoi, au Champions Challenge à Boom, en 2007 : on avait fini derniers… Peu de temps après, Adam Commens est arrivé à la tête de l’équipe et on s’est qualifiés miraculeusement pour les JO de Pékin à la dernière minute de notre match pour la 3 e place contre l’Allemagne lors de l’Euro de Manchester. Qui sait ce qui se serait passé sans ça ? »
Depuis, il a été de toutes les batailles, à l’exception notoire de l’Euro 2015, à Londres, pour lequel Jeroen Delmee, le coach fédéral de l’époque, l’avait snobé « sans autre raison que de vouloir donner une chance aux jeunes ». Il dit avoir encore cette expérience mal communiquée de première non-sélection en 9 ans « en travers de la gorge » même si, « après coup, comme cela a mal tourné pour l’équipe (NDLR : au final 5 e après avoir manqué l’une des deux places qualificatives en poule), j’ai été content de ne pas vivre ça. Surtout que, dans ma tête, il était clair que je reviendrais dans le noyau après cette compétition ».
Maintenant qu’il y est avec, à la barre de l’équipe, Shane McLeod, « un entraîneur qui a eu d’emblée un gros impact sur l’esprit d’équipe » , il rêve de poursuivre à Rio la progression un moment interrompue des Red Lions. A défaut d’être évidente, la recette du succès sera simple : finir parmi les 4 premiers de son groupe et gagner son quart de finale pour être sûr de jouer cette médaille tant attendue. « Avec ce système, on a statistiquement plus de chances que lors des deux Jeux précédents », conclut Thomas Briels.
Qui, aux Pays-Bas, a aussi appris à compter.
Philippe Vande Weyer, In Le soir, samedi 7 mai 2016.
Photo Bruno D’Alimonte.