Felix Denayer et John-John Dohmen sont ce qu’on appelle des « tauliers », que ce soit dans leur club ou chez les Red Lions. A l’aube d’une année 2015 qui pourrait être déterminante pour l’avenir de la sélection nationale, ils ont répondu à toutes nos questions, sans langue de bois…
Vous venez de vivre une année assez frustrante avec l’équipe nationale en loupant le podium à la Coupe du monde et en terminant derniers au Champions Trophy. On a l’impression que tout le monde est retombé brutalement au sol…
John-John Dohmen. « C’est vraiment ça. Nous sommes 5es mondiaux, mais nous ne sommes pas si forts qu’on le pense. On l’a vraiment réalisé au Champions Trophy, en décembre, et un peu à la Coupe du monde, en juin, même si, là, ça s’est joué à des détails. Nous sommes redescendus sur terre. Notre force réside dans le groupe ; plus on sera ensemble, meilleurs on sera. C’est pour ça qu’on a décidé d’augmenter le nombre d’entraînements hebdomadaires en commun et que l’on augmentera encore la dose en vue des Jeux. En groupe, on sait battre tout le monde, on l’a déjà fait. »
Felix Denayer. « On a les capacités de battre n’importe qui mais il nous manque une continuité dans nos performances. Les meilleures nations, elles sont là chaque fois ; nous, il nous manque encore quelque chose… même si ce n’est pas grand-chose. Lors de notre dernier stage (NDLR : en Afrique du Sud, en janvier), il y a eu une vraie remise en question de notre part. On veut plus s’entraîner mais surtout être plus souvent ensemble pour parler, former un groupe, oser se dire les choses. Une équipe qui veut gagner des trophées doit savoir passer par des moments difficiles. On veut tout faire pour essayer de valider notre passion, même s’il n’y a aucune garantie que l’on y arrivera. »
Comment se fait-il que vous pensiez être si forts ?
JJD. « Quand on passe en un an et demi de la 13e à la 5e place mondiale, quand on commence à faire des super-résultats, quand on arrive en finale d’une Coupe d’Europe, quand on fait des matchs fantastiques, quand le public est euphorique, quand les médias parlent de plus en plus de nous, on commence à croire, même inconsciemment, qu’on va être champions du monde ! Et ça ne se passe jamais comme ça, malheureusement… Mais si nous sommes redescendus sur terre, nous sommes surtout prêts à repartir sur de bonnes bases. »
Vous parlez depuis plusieurs années de cette éventuelle médaille aux Jeux de Rio. À la longue, cela n’a-t-il pas fait peser une pression inutile sur vos épaules ?
JJD. « Chacun vit ça de manière très personnelle. Moi, je suis le premier à dire que je veux une médaille alors que d’autres préfèrent ne pas en parler. Mais j’ai fait mes débuts en équipe nationale à 16 ans et ce qui m’énerve, c’est que nous n’avons toujours rien gagné depuis… Ma carrière est presque terminée et je veux cette médaille, je n’ai pas peur de le dire. Rio, ce sera ma dernière chance. Je n’ai aucun problème à annoncer mes ambitions, quitte à échouer avec les honneurs, parce que je sais que nous allons nous donner tous les moyens de réussir. »
FD. « Je suis entièrement d’accord avec John-John. Mais il existe une grande différence entre dire que tu veux remporter un prix et passer de la parole aux actes. En anglais on dit « Walk the talk ». Pour cela, il faut être convaincu du message et mettre tous les éléments en place pour y parvenir. Il faut développer la culture de la gagne. Moi non plus, je n’ai pas peur de dire que je veux gagner des médailles et remporter des tournois. »
Comprenez-vous que certains observateurs disent parfois que les Red Lions sont arrogants ?
FD. « Oui, mais c’est une réaction très « belge ». Si certains pensent ainsi, qu’ils viennent voir comment je m’entraîne au quotidien. Ils verront que nous travaillons dur pour valider nos ambitions. Je suis d’accord qu’il faut rester réaliste mais en tant que sportif de haut niveau, je n’ai pas envie de regarder vers le bas. »
Le prochain grand rendez-vous des Red Lions, ce sera la World League, en juin, à Brasschaat. Avec la qualification pour Rio comme enjeu…
FD. « Absolument. Même si je n’ai pas envie d’engager tout le groupe, pour moi, c’est très clair, je veux gagner cette compétition. Et si cela ne tourne pas comme on le souhaite, nous en tirerons les conséquences. Lors de la finale de la World League, l’an dernier, nous avions dit que nous n’y allions pas pour gagner car il nous manquait deux ou trois joueurs et cela m’avait dérangé. »
Une première médaille d’or pourrait-elle définitivement vous lancer ?
FB. « C’est évident. Tous les sportifs de haut niveau vous le diront : un premier titre enlève la pression. »
JJD. « Un de nos problèmes, c’est que les générations précédentes de Red Lions n’ont jamais rien gagné. Personne n’a pu nous transmettre une recette pour y arriver. Nous devons tout découvrir par nous-mêmes. Dans les moments clés, on ne parvient pas à passer le cap. Beaucoup de joueurs pensent que pour gagner un titre, il faut faire un match de feu. mais c’est faux. Il faut juste faire ce qu’il faut. C’est très différent. »
FD. « C’est ce que font les Allemands, par exemple. Ils font toujours la même chose. En Inde, ils ont raté leur début de tournoi, mais ils ont quand même fini par le remporter. »
JJD. « Actuellement, nous ne sommes pas encore suffisamment réguliers. Alors que parfois, nous réussissons des prestations collectives et individuelles exceptionnelles, il y a clairement des rencontres où nous ne répondons pas présents. C’est notre principal défaut. »
Jouer ce tournoi devant votre public va-t-il changer quelque chose ?
FD. « Bien sûr. On l’a vu lors de la dernière Coupe d’Europe, à Boom. Evoluer dans un stade entièrement acquis à votre cause, cela vous porte. C’est pour vivre ces moments-là aussi que l’on travaille dur, chaque jour. On dit toujours qu’au plus haut niveau, il faut éliminer les émotions, mais dans des moments comme ceux-là, il faut aussi pouvoir en profiter.
De l’extérieur, on a l’impression que, balancés entre votre club et l’équipe nationale, vous n’arrêtez jamais…
JJD. « Non seulement on ne s’arrête jamais… mais pour la plupart, quand ça s’arrête, on enchaîne sur les études, les examens. Les vacances, je ne sais plus ce que c’est. Cela fait deux ans que je n’en ai plus pris. Parfois, c’est difficile. Mais c’est un choix que j’ai fait. Et je prends toujours beaucoup de plaisir à être sur le terrain, que ce soit aux entraînements, en stage, ou lors des tournois. »
Pour la santé mentale, c’est pourtant bien de s’arrêter de temps en temps…
JJD. « C’est vrai, mais nous avons choisi de nous investir pour cette équipe. Nous en avons discuté lors du stage en Afrique du Sud. Pendant un an, nous allons mettre nos priorités sur le hockey, pas dans nos études, notre boulot, les à-côtés… »
Comment gérez-vous vos intérêts, entre votre club et les Red Lions ? C’est facile de « tourner le bouton » ?
FD. « Pour moi, la priorité actuelle, c’est l’équipe nationale sans pour autant négliger le Dragons. Pour une question de rythme, il est important de prendre cette option. »
JJD. « Pendant l’année, ce n’est pas trop compliqué de « tourner le bouton », comme vous dites. Ce qui est plus dur, c’est quand on passe un peu plus de temps en club, pour les playoffs ou l’EHL (la coupe d’Europe) ; on est vraiment concentré sur son sujet et il y a de vraies rivalités entre clubs en fin de saison. Du coup, quand on rejoint la sélection, il faut un petit temps d’adaptation parce que l’on ne s’est pas fait de cadeaux pendant deux ou trois semaines ! Mais je suis d’accord avec Felix : il faut vraiment considérer l’équipe nationale comme notre première équipe, sans pour autant abandonner le club. »
Les clubs estiment pourtant que l’équipe nationale prend beaucoup de place…
JJD. « Ils doivent voir ça comme un bénéfice plutôt que comme un préjudice. Ce n’est parce qu’on est moins présent aux entraînements qu’on n’apporte rien aux clubs. Plus on s’entraînera à un haut niveau, plus on sera efficace en club. Cela va aussi permettre d’attirer des membres. Si l’équipe nationale fait de bons résultats, cela sert à tout le monde. Les clubs doivent nous pousser plutôt que d’essayer de nous retenir. »
FD. « Les internationaux essaient de suivre un programme « full-time » qui va les amener vers un plus haut niveau en vue des Jeux. Cela ne va durer qu’un an, pendant l’année olympique. Il faut voir les bénéfices à long terme. Plus le niveau des Red Lions sera élevé, mieux ce sera pour les jeunes avec qui ils s’entraîneront ensuite dans les clubs. C’est juste un équilibre à trouver. »
Laurent Toussaint & Philippe Vande Weyer, In Le Soir, samedi 21 février 2015.
Photo : Pablo Garrigos – Le Soir