Le hockey à la recherche de son glorieux passé

« Si le cricket est notre cœur, le hockey est notre poumon ! » Cette pancarte brandie par Amulyakumar Naik, cet étudiant de Bhubaneswar, dans le Kalinga Stadium lors du match entre la Belgique et le pays organisateur, dimanche, a fait sensation sur les réseaux sociaux car elle illustre parfaitement la situation actuelle du sport indien. Si, durant les années septante, le hockey était encore le premier sport national et même une véritable religion pour l’ensemble de la nation, il faut bien admettre que la situation a bien changé. C’est le cricket qui fait, à présent, l’objet d’un véritable culte de la part des 1,34 milliard d’habitants que compte le pays. « Ce qui est amusant, c’est que de nombreux Indiens considèrent encore le hockey comme le sport national, explique Mihir Vasavda, journaliste sportif au quotidien The Indian Express. Principalement, en raison de sa riche histoire olympique. Il existe donc un énorme attachement émotionnel à la discipline dans certaines régions comme le Pendjab, l’Odisha, le Coorg, ou près de Bangalore. Mais, au sein de la nouvelle génération et dans les grandes villes comme Mumbai et Delhi, ce n’est plus le cas. »

Le hockey peut, aujourd’hui, être considéré comme le deuxième sport du pays devant le football même si son nombre de pratiquants est extrêmement faible vu la taille du pays. Ils ne sont ainsi pas plus de 35.000 (moins qu’en Belgique donc !) même si la discipline reste extrêmement populaire dans les écoles. « Il existe deux raisons principales pour lesquelles un jeune peut prendre le stick, poursuit Mihir Vasavda. Premièrement, en raison de sa condition. Pour certains, le hockey est l’unique moyen d’obtenir un emploi et de mener une vie agréable et confortable. Ces joueurs issus de zones rurales n’ont trouvé que cette alternative pour sortir de la pauvreté. La seconde est le passé familial. Hardik Singh, qui est le dernier venu en équipe nationale, provient ainsi d’une dynastie d’internationaux. Il est vraiment compliqué d’estimer le nombre de pratiquants car le principe d’affiliation à un club n’existe pas dans notre pays. »

C’est le passé glorieux qui avait permis au hockey indien d’obtenir ce statut dans le cœur de la nation. L’équipe nationale avait dominé la discipline au niveau mondial durant près de quarante ans, en terminant onze fois sur le podium aux JO en douze éditions (entre 1928 et 1980), avec six médailles d’or à la clé, de 1928 à 1956. Mais c’était au temps du véritable hockey sur gazon ! Ensuite, les nations européennes avaient pris, petit à petit, le dessus lors de l’apparition des terrains synthétiques.

Au fil du temps, la ferveur populaire a donc baissé car ce que les Indiens affectionnent surtout ce sont les succès. Et le cricket a remplacé le hockey dans le cœur de la population qui suit dorénavant, avec passion et surtout beaucoup de patriotisme, les exploits de son équipe nationale. En Inde, on trouve une batte dans la plupart des foyers. Même dans les mégalopoles comme Bombay ou Calcutta, chaque coin de rue est envahi par les gamins qui respectent à la lettre les règles et le rythme si particuliers du jeu. Sans distinction de confessions et de castes. « Le cricket occupe une place considérable dans l’espace médiatique et affectif. Il est aussi populaire que le football en Belgique ou le baseball aux Etats-Unis. L’équipe indienne peut même être considérée comme la meilleure au monde. Grâce à cela, elle polarise énormément d’intérêt de la part des sponsors et de la télévision. Si l’équipe indienne de hockey souhaite retrouver un jour son statut d’antan, il n’y a qu’une seule et unique solution, elle devra à nouveau remporter une grande compétition internationale comme la Coupe du monde ou les JO. »

Mais une autre menace pèse aujourd’hui sur le hockey. Bien qu’assez peu connu dans les pays occidentaux, le kabaddi emporte tout sur son passage depuis quelques années. On peut le pratiquer n’importe où, sans tenue spécifique, à pieds nus, et à 5 contre 5 ou à 4 contre 4, en fonction du nombre de joueurs disponibles (même si en compétition officielle, on y joue à 7 contre 7). A mi-chemin entre la lutte et le rugby, il s’agit d’un sport de contacts assez rugueux. « Il s’agit de l’unique compétition, en dehors du championnat pro du cricket, qui remporte beaucoup de succès à la télévision, conclut encore le journaliste. C’est un sport que les Indiens prétendent avoir inventé. Presque tout le monde y a joué pendant son enfance. C’est clairement la discipline tendance du moment. »

Cette Coupe du monde à Bhubaneswar a comme ambition de remettre un énorme coup de projecteur sur le hockey. L’engouement est important même si les Indiens n’en maîtrisent pas toujours bien les règles. Mais peu importe. Si les résultats suivent, ces prochains jours, toute la nation pourrait à nouveau s’enflammer en rêvant à un deuxième titre. Attendu, déjà, depuis 1975.

Laurent Toussaint (à Bhubaneswar), In Le Soir, samedi 8 décembre 2018.

Photo : Belga.

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