Le casse-tête des terrains de hockey à Bruxelles

Scène de la vie quotidienne sur un terrain de hockey bruxellois. Bienvenue à l’Orée, un mercredi ordinaire… Les travaux actuellement en cours du côté de Sport City, à Woluwe-Saint-Pierre, ajoutent au chaos ambiant. Deux équipes de jeunes filles s’entraînent sur le terrain mouillé dont un coin leur est enlevé pour permettre aux gardiens de but d’y parfaire leur technique. Plus loin, le terrain de foot ceinturé par la piste d’athlétisme est également dédié aux hockeyeurs. Qui sont en nombre : 6 équipes s’y retrouvent en même temps ! Entre 100 et 120 gosses occupés à manier le stick en évitant de se les mélanger… « Ce qu’il y a de bien, c’est que, quand on joue en paquet pendant un match, on a souvent un avantage sur nos adversaires… » , sourit Charles, avant de grommeler en tentant de faire avancer sa balle sur ce « tapis » de foot aux brins bien plus drus que ceux d’une moquette « ordinaire »…

Le quotidien des Oréens peut paraître extrême. Avec ses 1.300 membres, le club qui fera son retour en Division d’Honneur (DH) la saison prochaine est le plus peuplé de la capitale. Mais est aussi l’un des moins bien équipés avec… un seul terrain (mouillé) pour tout ce petit monde ! Des solutions de secours sont heureusement mises en œuvre (au Parc ou à l’Ecole européenne), voire plus durable en vue du côté du Parc de Woluwe. Mais le cas de l’Orée est loin d’être unique.

En fait, bon nombre de clubs belges – et les Bruxellois en particulier – souffrent de saturation. Alors que la barre des 40.000 joueurs – dont plus de 12.000 à Bruxelles – va bientôt être franchie, soit une progression de 35 % en 5 ans, la situation est devenue intenable en de nombreux endroits du pays. « Si le nombre total de nos affiliés ne soutient pas la comparaison avec le foot, il faut tout de même remarquer qu’en Région bruxelloise, nous avons recensé 120 terrains de foot pour 25 à 30.000 joueurs, et… 22 surfaces de hockey pour près de 12.500 pratiquants ! », constate amèrement Marc Coudron, le président de l’ARBH (Association royale belge de hockey). Les chiffres au plan national ne sont guère moins impressionnants, avec 70 terrains recensés sur l’ensemble du territoire pour… 84 clubs, et surtout 40.000 joueurs, soit une moyenne d’un terrain pour 570 joueurs !

Face à ce… « fléau », plusieurs présidents ont déjà sommé leurs équipes de freiner le recrutement, un comble pour un sport qui portera beaucoup d’espoirs de médaille lors des prochains Jeux olympiques ! « Contrairement à de nombreuses fédérations sportives, nous menons très peu de démarches auprès des écoles en vue de recruter de nouveaux membres ; même chose pour les stages d’initiation » , admet Dominique Coulon, le secrétaire général de la Ligue francophone de hockey (LFH) à laquelle sont affiliés les 21 clubs bruxellois (y compris Linkebeek, qui a fait ce choix pour limiter les longs déplacements de ses membres), et les 21 clubs wallons.

Alors que faire pour permettre aux hockeyeurs d’enfin trouver l’espace nécessaire à leur développement ? (Re)donner l’envie aux clubs de recruter de nouveaux joueurs ? Et aux Fédérations d’assumer à nouveau l’un de leurs rôles essentiels, à savoir susciter de nouvelles vocations ? Beh, aménager de nouveaux terrains, pardi ! Mais où, comment, et avec quels moyens ? Comme on le lira par ailleurs, la mise en œuvre d’une telle construction tourne tout de même autour des 900.000 euros, plus cher qu’ensemencer un champ de patates… Mais, avant même d’aborder la question délicate du budget, d’autres écueils peuvent se dresser sur la route des candidats bâtisseurs : zones Natura 2000, nuisances – sonores et lumineuses – à faire accepter par le voisinage, cohabitation avec certaines espèces animales – les chauves-souris goûtent fort peu l’éclairage surpuissant nécessaire à la pratique du hockey qui se déroule de plus en plus tard… en raison de la difficulté à caser toutes les équipes sur une journée normale, etc.

« Il y a quelque temps à Arlon, la présence d’un castor sur une zone visée bloquait toute velléité d’installation d’un terrain, se souvient Dominique Coulon. Puis, un jour, des inondations ont tout emporté sur leur passage, y compris le castor. On a pu faire aboutir le projet… »

Si la situation est un peu moins préoccupante en Wallonie et en Flandre, à Bruxelles en revanche, cela fait longtemps qu’on ne croit plus à l’intervention bienveillante de Dame nature pour débloquer la situation. Et alors qu’on observe avec attention – et inquiétude ? – le changement récent de ministre des Sports – passé du CDH René Collin au PS Rachid Madrane – à la Fédération Wallonie-Bruxelles, on mesure également, et parfois amèrement, la régionalisation des affaires sportives.

« Cela a redonné la main aux communes, et donc à la politique des amis, ce qui ne fait pas toujours avancer les dossiers de façon raisonnable et raisonnée » , confie un président. « La plupart de ces clubs sont en réflexion perpétuelle au sujet de leur extension, reprend Dominique Coulon, qui relève davantage de soucis du côté d’Uccle et des deux Woluwe où il y a le plus grand nombre de clubs. Avec une série de difficultés à vivre au quotidien. Comme ces équipes de DH qui doivent jouer ailleurs parce que leur terrain n’est pas homologué (NDLR : le White Star qui joue au Parc ou à Malines, par exemple), ou la dégradation des terrains qui s’accélère en raison de leur utilisation plus qu’intensive, etc. Cela a d’ailleurs d’autres conséquences. Comme quand un club doit changer son tapis – dont la durée de vie est de 8 à 10 ans en moyenne –, mais se trouve confronté à des autorités qui leur ont accordé un subside sur 15 ans, etc. »

De quoi favoriser la mutualisation des terrains, comme l’Orée et l’Ombrage s’apprêtent à le faire au Parc de Woluwe, ou comme le White Star a un moment envisagé de le faire avec l’équipe de foot américain des Tigers à Evere ? « C’est très certainement une piste qui doit encore être exploitée » , conclut Marc Coudron. Même si cette solution n’a pas que des adeptes dans les clubs. Reste alors à envisager sortir des frontières de la Région bruxelloise. Une solution qui se heurte aux (sur)coûts que cela engendre, ainsi qu’à ce sentiment de déracinement qui s’accommode fort peu de cet « esprit de club », si cher à bon nombre de sportifs.

Thierry Wilmotte, In Le Soir, samedi 7 mai 2016.

Photo : Marc Lequint.

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